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Channel: Les efflorescences
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Les fantômes de la Bataille de Normandie

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Je viens de découvrir dans The Atlantic le travail de la néerlandaise Jo Teeuwisse, qui est conseillère historique pour le cinéma. Elle a superposé des clichés de la Seconde guerre mondiale, et notamment de la Bataille de Normandie, avec des prises de vue actuelle des mêmes lieux. Le résultat, baptisé Ghosts of War–France, et que l’on peut consulter ici, est étonnant: les rues d’aujourd’hui semblent hantées par des fantômes, soldats américains ou allemands, venus du passé.  L’idée n’est pas si originale, puisque le russe Sergey Larenkov procède au même genre de montage, et la réalisation est plutôt facile, comme l’explique Jo Teeuwisse: « It is a bit like painting with history. You put the old photo on top of the new photo, you make them line up and then you start removing parts. It is not about how you do it, because the computer does most of the work and it is not that hard to do. But it is about deciding what you want to show, what you want to remove and where you want the viewer to look at. If you make the right choice the combination tells a story, it makes people think». Pourtant, une force étrange se dégage de ces photos: comme dans un roman de Philip K. Dick, une brèche semble s’être ouverte dans l’espace et nous fait remonter le temps.

Les rues de Cherbourg que l’on retrouve ainsi superposées à presque soixante-dix ans d’intervalle ne sont pas des lieux de mémoire, au sens où Pierre Nora l’entend, puisqu’elles n’ont pas échappé à l’oubli: on y cherchera en vain une plaque commémorative. Ces rues furent juste, à un moment donné, le théâtre de la guerre. C’est tout. Les gens qui les parcourent aujourd’hui n’ont pas conscience de ce qui a pu se passer en 1944: quel passant imaginera en effet qu’un soldat est mort sur les marches de ce petit escalier de la rue Armand Leveel? Ce sont des lieux débarrassés de toute l’émotion que la mémoire pourrait susciter. Aucune idéologie ne va les investir.  Aucune récupération politique. Si bien qu’avec ces photos, où il n’y a pas d’autre enjeu que celui, fort simple, de superposer deux époques,  Jo Teeuwisse effleure cette objectivité qui caractérise l’histoire par rapport à la mémoire. Une objectivité certes squelettique et dénuée de sens; cependant beaucoup d’historiens feraient bien de s’en contenter.


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